[POST-PARTUM] Pendant longtemps elles se sont tues, les mères…

Son fils devait avoir 4 semaines quand une amie m’a appelée, désemparée :

« Mais ça ne s’arrête donc jamais ? Chaque jour, je découvre un problème auquel je n’ai jamais été confrontée. D’abord l’allaitement, puis la mycose. Et après, quoi ? C’est sans fin. À chaque fois, je cherche des infos, j’essaie de cerner le truc… et quand je pense y être à peu près parvenue, une autre galère débarque ! Jamais de ma vie je ne me suis sentie aussi impuissante. J’ai mal aux seins, mon bébé pleure tout le temps et je ne sais pas comment le soulager… Je suis épuisée. Moi qui croyais être une fille cool, tout-terrain, je me découvre stressée, contrôlante. Cet enfant prend toute la place : je n’ai plus d’espace pour moi, ni extérieur ni intérieur. Il y a tant à faire, tout est tellement nouveau ! Et encore, mon compagnon est très présent ! Je réalise que le post-partum n’est pas qu’une question d’organisation. Cette naissance me déstabilise à un niveau bien plus profond. »

Pendant longtemps, elles se sont tues, les mères. Devenir maman était censé être si instinctif ! Et s’occuper d’un nouveau-né, si épanouissant ! Nous sommes des femmes, oui ou non ? Et des super nanas, en plus, de celles qui ont réussi leur vie sociale, professionnelle et amoureuse avant de s’attaquer au projet « bébé ». Comment imaginer que nous pourrions ne pas gérer ?

Ben oui. Mais non.

Partout dans le monde, une nouvelle génération de mères ose dire que les premiers mois de la maternité sont plus rock’n’roll que ce qu’elles avaient imaginé. Le corps est chamboulé, on ne dort plus, on ne sait pas comment s’y prendre, on se sent seule, on hurle de ne pouvoir reprendre sa vie « d’avant ». Les copines sont débordées, la famille loin, les parents âgés. Qui pour nous apporter un coup de main ou une once de réconfort ? Le couple, lui aussi, est déstabilisé ; tous les repères ont changé. L’isolement pointe, on perd pied. Dire qu’on a besoin d’aide est compliqué : comment avouer que nous ne nous sentons pas à la hauteur du rôle censé être le nôtre ?

On parle de baby-blues, d’aléa hormonal ou de manque de nutriments, mais la question du post-partum est plus complexe. Plus identitaire. Plus sociale, aussi. D’un côté, les transmissions familiales se sont délitées. De l’autre, vox populi nous dit : « Tu devrais être heureuse ; tu l’as voulu, ce bébé, oui ou non ? » L’extrême sensibilité, la vulnérabilité, voire le désarroi engendrés par cette période ne sont pas forcément faciles à confier, parce qu’ils ne correspondent pas à l’injonction d’une maternité idyllique. Pourtant, l’enjeu est essentiel : si la jeune mère ne bénéficie pas d’un cadre solide et bienveillant où pouvoir se déposer sans se sentir jugée, elle risque d’en souffrir et de ne pas faire complètement le chemin dans la création de lien avec son enfant.

Au ministère des Solidarités et de la Santé, on est conscient du problème : des équipes planchent sur comment prévenir les difficultés maternelles et soutenir les débuts de la parentalité. Notre société s’ouvre doucement au concept de matrescence : de même qu’un enfant passe par l’adolescence pour devenir adulte, une femme ne devient pas mère dès l’instant où elle se retrouve avec un bébé. Acquérir cette identité est le fruit d’un processus. Le corps a besoin de temps pour se remettre du choc de l’accouchement et des changements inouïs qu’il vient de traverser. Émotionnellement, l’arrivée d’un enfant ravive parfois des peurs ou des blocages, et exacerbe les problèmes latents : héritages familiaux, mémoires enfouies, difficultés avec son partenaire… Confrontées aux difficultés des premiers mois, éreintées ou déstabilisées par ce qu’elles sont en train de vivre, de jeunes mères sombrent dans l’épuisement ou dans la dépression.

Devenir parent est une révolution qui nous oblige à nous interroger sur nos besoins, nos attentes, nos valeurs et nos limites, ainsi que sur notre capacité à les exprimer. Pour Post-Partum, j’ai interrogé des femmes sur le début de leur maternité. Sidérée, j’ai découvert que toutes avait une histoire à partager. Toutes, quand elles se sont mises à parler, même quinze ou vingt ans après la naissance de leur enfant, ont vu l’émotion ressurgir : elle était là, intacte, comme un secret qu’on peut enfin livrer, une parole qu’on peut enfin libérer.

Mon livre se nomme Post-Partum, mais il aurait pu s’appeler Prendre soin. Car en filigrane, là est la question : comment prenons-nous soin ? Notre système de santé accompagne la maternité physiologiquement, mais quid de ce qui se joue émotionnellement et psychologiquement, dans la profondeur de l’être ? Prendre soin, ce n’est pas traiter ni guérir. C’est être là, inconditionnellement, et accueillir ce qui se présente, heureux ou douloureux. Prendre soin de l’enfant, de la mère, du père, de ce qui se joue pour eux. Des espaces et du temps dont ils ont besoin pour récupérer et construire cette nouvelle relation et cette nouvelle identité. Prendre soin : quand on devient mère, cela veut-il dire s’oublier ? Prendre soin de soi, n’est-ce pas aussi oser avouer ses difficultés et demander de l’aide ? Prendre soin de nos proches, n’est-ce pas leur apporter le soutien dont ils ont besoin, même s’ils peinent à l’exprimer ?

Alors parlons-en. Parlons de post-partum, parlons de couches, d’hémorroïdes, de cicatrices, de nuits blanches, de seins qui giclent, de douleurs à pleurer, d’injonctions, de solitude, de larmes, d’extase, de sexe, de vulnérabilité… et surtout, surtout, parlons d’amour. Celui que chaque parent transmet, autant qu’il peut, à son enfant. Celui qu’on aimerait recevoir, aussi, tout autant qu’on en donne. Car nous ne sommes pas faits pour porter ça tout seuls. Parlons pour que l’information circule. Pour que les prochaines générations de parents soient mieux préparées et mieux soutenues. Pour que chaque maman sache qu’elle n’est pas seule, et que ce n’est pas « elle » le problème – car aussi déstabilisante que soit son expérience, elle est universelle. Pour que les proches, les soignants, le corps social et politique se mobilisent. Pour que, avec l’enfant, au fond, naisse l’art de la relation, de l’écoute et de la bienveillance.