[CES MOMENTS] Un matin avec Rachid Taha

« Un mec comme on n’en fait plus », m’avait-on prévenue. Avec ses airs canailles, son franc-parler, sa façon de se ficher des convenances et d’avancer, Rachid Taha a de quoi déstabiliser. Scotchant sur scène de présence et d’énergie rock, l’animal se révèle complexe : tour à tour fin et enfantin, corrosif et charmeur, politique et poétique, rebelle et midinette. Certains le trouvent borderline. Et s’il était out of borders ?

Car oui : Taha aime Johnny Cash, Joe Dassin, The Clash. Quand il ouvre la porte de sa maison des Lilas, ce n’est pas pour se raconter une énième fois, mais pour laisser parler son univers. Musique, peinture, cinéma… Du rock’n’roll de Roy Orbison au trash métal de Rob Zombie, l’ami Rachid joue les DJ, écoute, farfouille, exhume des trucs oubliés. Variété, standards orientaux, musique cambodgienne, compositions personnelles, opus électro…

« Mon truc à moi, c’est faire le lien. Entre les genres, entre les gens. Tu sais ce qui unit les Pieds-noirs et les Américains ? L’Alsace et la country ! Beaucoup de Français partis s’installer en Algérie en 1872 venaient de l’Est, comme les Luthériens émigrés aux USA au XVIIe siècle. Et le chaâbi ne serait pas ce qu’il est sans le banjo débarqué à Alger en 1942 avec les alliés ! »

Rock in the Casbah

Au mur, un portrait géant de Franz Fanon. « Entièrement réalisé en papier collé par un de mes amis. J’adore l’art, ça m’amuse. Tout peut être œuvre d’art ; c’est juste une question de regard. » Lui-même peint, sculpte, écrit. « On est là pour faire ! En France, les gens s’enferment souvent dans des postures intellectuelles. Être gai, populaire, c’est suspect. Tous les peuples chantent, célèbrent la joie et l’émotion, les Français gueulent, font des manifs. Ici on aime les idées, pas les actes. D’ailleurs, liberté, égalité, fraternité est un slogan publicitaire ! » Le genre de discours qui fait parfois grincer : « Si Monsieur n’aime pas la France… » Contresens : c’est parce que la République lui est chère qu’il la secoue, et qu’il dénonce ses travers.

Pour exprimer ses combats et bousculer les conformismes, Rachid Taha a choisi la création, le plaisir, la fantaisie. « Arrêtons de nous prendre la tête ! Je peux te pondre un album tous les trois mois, un par jour si tu veux ! »

La tête dans la musique de John Fogerty, Leïla Mourad, Public Enemy, il planche sur un disque aux confluences du folk américain, du rock et du chaâbi, tout en caressant l’idée d’adapter les textes du poète perse Omar Khayyam (XIe siècle). « J’aimerais aussi réunir différents artistes – de Robert Plant à Raphaël en passant par Damon Albarn (Blur, Gorillaz), Mick Jones (The Clash) et les Têtes Raides – pour un album collectif sur le thème de la paix entre Israël et la Palestine. C’est important, non ? T’en penses quoi ? »

Publié dans Respect Magazine en décembre 2007