[POST-PARTUM] Tribune pour le magazine “Quatrième trimestre”

Dix ans. C’est l’âge de mon fils. C’est aussi le temps qu’il m’a fallu pour réaliser que je n’avais jamais récupéré de l’intense fatigue qu’avait engendrée sa naissance.

Depuis dix ans, je vis sur la réserve. Fragile, tenant du bout des orteils sur la corde raide – et m’en sentant coupable… C’est la yoga-doula Gurujagat Kaur qui a éclairé ma lanterne, alors que je l’interrogeais pour mon livre Post-Partum : « L’énergie d’une jeune mère, c’est comme une batterie, m’a-t-elle dit. Si vous ne prenez pas le temps de la recharger correctement, si vous la re-sollicitez alors qu’elle n’a récupéré qu’à 10%, elle va s’épuiser à nouveau très rapidement. Elle risque alors de tomber malade, de souffrir de maux de hanche, de dos ou d’asthénie, c’est-à-dire d’une fatigue chronique qui peut nuire durablement à sa santé. » Bingo. C’est là qu’en j’étais. « En particulier, a-t-elle ajouté, cet épuisement physique peut conduire à un épuisement psychologique, qui peut aboutir à une dépression du post-partum. »

Il y a dix ans, le post-partum n’était pas un sujet. Comme bien des mamans, je pensais benoîtement qu’une fois l’accouchement passé, tout ne serait plus que bleu layette et rose glamour. La bonne blague ! Je me souviens notamment de ces soirs, où je scrutais le retour de mon compagnon. 18h30, 19h, 19h30… « Mais qu’est-ce qu’il fait, bon sang ? » Ces soirs-là, quand mon conjoint poussait enfin la porte, j’avais juste envie de lui confier le bébé, de me rouler en boule dans le noir et de pleurer. Confrontée au désespoir d’être tombée si profondément en exil de moi-même.

Bien sûr, mon homme faisait ce qu’il pouvait, mais il ne mesurait pas – pas plus que moi – combien la période était en train de me déstabiliser. Seule avec mon nouveau-né, le corps chamboulé, les émotions en vrac, sans aide de quiconque, incapable d’avouer mon désarroi et mes besoins, j’ai sombré dans la solitude, la frustration et la colère. Ah, pour m’abreuver de conseils, il y avait du monde ! Mais pour prendre soin de moi et m’alléger de quelques tâches, il y avait tout de suite moins foule !

La parentalité vient toucher en nous des structures très profondes. « Si vous donnez à la jeune mère l’opportunité pendant 40 jours de rebooster en profondeur ses systèmes corporels, vous lui offrez une phase de récupération dont les bénéfices se feront encore sentir dans 40 ans », indique Gurujagat Kaur dans Post-Partum. Cette opportunité, je ne l’ai pas eue. Dix ans après la naissance de mon fils, j’apprends enfin à dire : « Stop ! Tant pis. Je m’y prends mal, mais je fais de mon mieux », ou « Stop ! Ça suffit, je n’en peux plus, ce n’est pas normal, faut qu’on en parle »…

Alors parlons. Parlons pour que chaque maman sache qu’elle n’est pas seule, et que ce n’est pas « elle » le problème – car aussi déstabilisante que soit son expérience, elle est universelle. Pour que les proches, les soignants, le corps social et politique se mobilisent. Parlons pour qu’avec l’enfant, au fond, naisse l’art de la relation, de l’écoute et de la bienveillance.