[CES MOMENTS] Hang with them

D’abord il y eut Paris, un vendredi après-midi. Les dossiers à boucler, la voiture à charger, le périph’ à avaler. La route, les bouchons. Ça va passer. Station-service, essence, pipi, gâteaux, let’s go. Le temps, la montre. Ça va être chaud.

Puis il y eut la dame de la chambre d’hôte, le charme de sa maison. Ça va aller. Puis il y eut le bénévole du parking, et celle du Point Info. Merci, on vous suit. Puis il y eut Annette, en charge de la presse. Accréditation, grille du château, banco. Welcome dans le cadre unique de Cheverny. Puis il y eut Christian, à l’accueil des loges. Huit ans de festival en dix minutes de papote. Puis il y eut la douceur du soir, le sourire du public, les conversations de chaise à chaise, la vibration de l’air, la majesté des arbres, le murmure des oiseaux.

Puis il y eut la musique. Leur musique. De celles qui vous rendent suave, attentif, élégant… jusqu’à ce que vous preniez conscience que votre pied gigote tout seul, que vos hanches balancent, que votre tête dodeline. Vous êtes dans le swing. « C’est quoi ces instruments ? » s’interroge la foule. La rumeur bruisse.« On dirait des woks. Jolie cuisine, ma foi ! C’est lui qui fait tous ces sons ? C’est agréable, hein… Moi j’aime bien. »

Puis il y eut encore le chant des grenouilles, mêlé aux cris lointains de la meute de chiens – cent molosses de chasse dont la musique n’adoucit pas les mœurs. Le soleil qui se couche, la grâce qui s’éveille. Celle qui s’épingle à la ligne d’une basse, au frottement d’un tambour, à la touche d’un piano, à l’écho spirituel d’un hang. Steve Shehan frappe, la foule retient son souffle puis applaudit, en fine connaisseuse, apte à apprécier la performance d’un solo.

Là d’où je viens, dans la fosse d’une scène de rock, on aurait trépigné, sifflé, hurlé. Mais nous sommes dans un festival de jazz, dans les jardins de monsieur le marquis. Tenue correcte exigée. Pour autant, la chamade qui bat ce soir dans le cœur des gens, leur plaisir gourmand, la lumière émue qui s’allume dans leurs yeux, je vous l’assure, est rock’n’roll.

Je connaissais l’album Hang with you. En live, il prend toute sa chair, son animalité, sa substance. Jazz, world, truc, machin, peu importe. Steve Shehan et son quartet sont au-delà des étiquettes. Leur musique est un paysage. Leur musique est un voyage. De ceux qui vous amènent à dépasser les limites de ce que vous croyiez apprécier ou connaître.

Entre eux, la complicité est évidente. Et nous aussi, ils nous rendent complices. De l’instant, du moment, de cette capacité à être là, pleinement. Je les aime ces gars, je les aime vraiment. Ce soir, il y eut les notes, et tout ce qu’il y a entre. Ce soir il y eut le jeu, l’envie, l’attaque des moucherons, le bonheur d’être en vie et celui d’être ensemble. Ce soir, il y eut la virtuosité et la lumière, la puissance et la finesse, la sensualité et le mystère. Ce soir il y eut quatre hommes, et mille âmes en suspens. En un mot : envoûtant.

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